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Que se passe-t-il du côté des enseignants ? La sortie du long tunnel de la pandémie n'est pas encore totalement effective et il est déjà temps de panser ses plaies. La profession ne ferait plus recette, les démissions d'enseignants seraient légion tant les difficultés s'accumulent. Et on les comprend : des élèves démobilisés, des conditions d'exercice dégradées, des salaires bas, sans parler des récentes actualités relatant des agressions de profs dans certains établissements, … Pourtant, il semble qu’un sujet aussi central que l’enseignement en France nécessite une analyse plus fine pour bien comprendre les problèmes que rencontre la profession d’enseignant.

Premier constat, il serait de plus en plus difficile pour l’Education nationale de pourvoir les postes vacants car la profession n’attire plus la nouvelle génération.

Deuxième constat, la profession serait déprimée, avec des enseignants en place peu satisfaits par leur rémunération, leurs conditions de travail et la dégradation de leur image dans la société française.

Mais qu’en est-il réellement si l’on confronte ces constats à la réalité des chiffres ? Deux documents d’étude permettent d’y voir plus clair et ainsi de dépasser les effets de sinistrose ambiante : le rapport du Cnesco sur l’attractivité de la profession de 2016 et une récente note d’information de la Depp sur la satisfaction professionnelle et le bien-être des professeurs des écoles. Je vous livre ici mon analyse :

Sur la question de la pénurie des enseignants, deux chiffres retiennent notre attention : on considère d’un point de vue RH à l’Education nationale que la qualité des recrutements est assurée à partir de 4 candidats pour 1 poste, et on constate que depuis 2011, le nombre de postulants a été divisé par deux. Pour rappel, en 2011, une réforme du recrutement a fait passer le seuil de diplôme minimal pour accéder aux concours de l’enseignement du niveau licence au niveau Master 2 et cela dans le but de garantir un niveau plus élevé. Néanmoins, le rapport de 2016 sur l’attractivité apporte d’importantes nuances. Sur la durée, la question du recrutement des enseignants est une question constante de décalage entre la démographie des élèves et le temps de réponse de l’Education nationale pour créer un nombre de postes adapté. Ainsi en 2003, le nombre de professeurs a atteint un pic alors même que le nombre d’élèves était en décroissance. Ce n’est qu’entre 2003 et 2011 que effectifs se sont équilibrés. Depuis, le rythme de création de poste d’enseignant est plus rapide que la progression des candidatures. En réduisant le nombre de postes aux concours de recrutement, l’Education nationale a envoyé le signal aux aspirants enseignants que ce débouché n’était plus aussi intéressant. Le message a été bien reçu et le nombre de postulant s’est adapté en conséquence.

Au-delà de cette tendance macro, si l’on regarde les statistiques dans le détail, la difficulté à recruter aujourd’hui se pose :

en termes de disciplines où l’histoire-géo ne connait pas la crise avec 100% des postes pourvus, tandis que les postes en lettres, mathématiques ou anglais sont en concurrence avec d’autres types d’orientation et de perspectives de rémunération plus importantes. • en termes géographiques où certaines académies comme Versailles et Créteil vont être nettement moins attractives que Rennes ou Toulouse. Conséquence, l’Education nationale va accepter des candidats à 8/20 à Créteil et 13,5/20 à Rennes en 2015. Les raisons ? Dans ce cas précis Versailles et Créteil, cela revient pour un jeune enseignant à avoir plus de chance d’enseigner en REP/REP+ sans avoir une formation et une expérience adaptée qu’à Rennes ou Toulouse. Et cela se traduit pour Versailles et Créteil par 20 et 30 fois plus de demandes de départ par les professeurs en poste que de demandes d’entrée pour les nouveaux enseignants.

Pour autant, la profession a vu un nouveau type de candidats s’affirmer ces dernières années avec l’afflux de salariés du privé, du public passant de 8,4% des admis au concours de professeur des écoles en 2005 à 14,9% en 2015. Cela montre bien que la profession connait d’importantes mutations.

Sur le sujet d’une profession déprimée, la Depp a publié en septembre 2021 un état des lieux de la satisfaction professionnelle des enseignants. Et s’il fallait retenir deux chiffres, ce serait : 80% se disent satisfaits et 75% disent que si c’était à refaire, ils choisiraient à nouveau ce métier. En revanche il y a des points négatifs mis en évidence : les enseignants se disent dévalorisés dans les médias et dans la société (96%), et ils ne sont que 20 à 30% selon les catégories à être satisfaits de leur salaire. Enfin, au niveau de l’OCDE, les professeurs français sont ceux qui considèrent avoir la formation la moins adaptée pour les élèves avec des besoins particuliers. Cette information corrobore deux tendances : celle qui est liée à la réticence des jeunes enseignants à aller vers les académies où ils sont susceptibles de débuter en REP/REP+, et celle qui se traduit par une forte attente en formation initiale adaptée et continue tout au long de leur carrière.

S’il y a de toute évidence d’importantes réformes à mener pour que la profession puisse bénéficier d’une gestion RH affinée, d’incitatifs retravaillés, d’une formation initiale et continue motivante et sur le fond d’une meilleure image dans la société, le tableau n’est pas si noir.

La profession évolue, la société a pris conscience avec le confinement que sans les enseignants rien n’est possible, mais tout cela reste fragile car les professeurs portent sur leurs épaules toutes les attentes et les critiques des parents vis-à-vis de l’école publique. Pour autant, les enseignants ne sont pas seuls et il existe des solutions qui méritent de connaître une meilleure diffusion auprès d’eux.

Du côté de l’Etat, le réseau Canopé, dont la vocation est de proposer des contenus pour la formation continue des enseignants, a développé de nouveaux services autour des nouvelles pratiques pédagogiques et du numérique avec Canotech, mais aussi de nouvelles approches comme des podcasts dédiés aux initiatives pouvant les appuyer dans leur exercice professionnel.

Du côté des associations, SynLab et sa plateforme EtreProf.fr, sont particulièrement mobilisées et en pointe pour donner aux enseignants des espaces d’échanges entre pairs sur leurs bonnes pratiques, et des ressources pédagogiques répondant aux enjeux actuels comme le programme Néo-profs lancé à la rentrée dernière ou des guides sur l’animation de débat autour de la laïcité. Pour avoir un ordre de grandeur, aujourd'hui, SynLab accompagne 65 000 profs. C’est à la fois beaucoup, et trop peu si l’on pense aux 900 000 enseignants exerçant en France rien que dans le public.

La Fondation AlphaOmega est convaincue que ces solutions, en plein développement, peuvent contribuer à une amélioration sensible des conditions d’exercice des enseignants. Et pour les professeurs de demain, envoyer un signal fort d’une profession dont les membres sont soutenus et peuvent s’appuyer sur de nombreux outils de formation de qualité aussi bien internes à l’Education nationale qu’externes via le monde associatif.

Nous avons la conviction que la pandémie a joué un rôle d’accélérateur chez les enseignants dans leur propension à s’approprier ces outils de formation. Nous avons également la conviction que ce phénomène va aller croissant. Il sera donc nécessaire de porter l’accent sur l’identification de ces outils et sur leur diffusion auprès des publics enseignants. C’est en tout cas, ce que la Fondation s’emploiera à faire par tous les moyens à sa disposition.

Elisabeth Elkrief, directrice générale de la Fondation AlphaOmega