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Deux chercheurs du CNRS à Strasbourg ont pris leur calculatrice et passé au crible l'évolution du niveau en France depuis 50 ans par rapport aux pays de l’OCDE. Bonne nouvelle, depuis 1970 la France a gagné deux ans, mauvaise nouvelle : depuis 2000, nous avons perdu 1 an de ce niveau. Alors que la majorité des pays développés observaient une adéquation entre la progression de leur niveau en maths parallèlement à leur développement économique, la France qui, selon les projections, aurait dû avoir un score de 515 points en 2020, a performé à… 482 points. 

Si la France a décroché, on peut se demander quelles sont les dynamiques des autres pays. Certains pays du sud comme l'Espagne et l'Italie ont également du mal à redresser le cap tandis que le Portugal a connu un véritable boum éducatif. Et un pays comme la Finlande qui était à la 14e place en 1970 atteint à présent la 1ère place, au point d’être aujourd'hui la référence en éducation. On peut aussi se demander comment le Royaume-Uni, fait pour se maintenir depuis 50 ans dans le trio de tête.

Mais revenons en France. L'étude « Bref retour cliométrique sur 50 ans de performances scolaires en lecture et en mathématiques en France : 1970-2020 » de Claude Dibolt et Nadir Altinok, que je vous recommande fortement, et qui est le point de départ de cet édito, on voit un point de rupture en 2000 où le niveau des élèves (en France par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE) commence doucement à baisser de manière continue sur 20 ans. La question que tout le monde se pose probablement est  : que se passe-t-il en France depuis 20 ans ? 

Pour ce qui est des actions de la puissance publique, on ne peut évidemment pas passer sous silence tout ce que l’Education nationale a entrepris ces dernières années pour endiguer le phénomène. Que ce soient les nombreuses réformes qui ont permis de faire passer le nombre de décrocheurs de 140 000 en 2012 à 80 000 début 2020 ; le plan Mathématique de Cédric Villani en 2017 pour notamment apporter une meilleure formation aux professeurs des écoles issus de formation littéraire ; le dédoublement des classes en primaire initié par Jean-Michel Blanquer, etc.

Non, le cœur du questionnement est surtout pourquoi depuis 20 ans, le niveau des élèves français décroche par rapport aux autres pays de l’OCDE. On peut se demander ce qui a été entrepris en Finlande, au Portugal ou au Royaume-Uni qui n’aurait pu porter ses fruits en France. Il existe un grand nombre de facteurs évidemment qu’il serait fastidieux d’énumérer ici, mais en se concentrant sur les enseignants, qui sont en première ligne pour aider les élèves, et spécifiquement sur l’enseignement des maths, peut-être avons-nous là un début d’explication.

Régulièrement, l’OCDE mène une grande enquête dite TALIS auprès d’un large échantillon de pays auxquelles la France a participé en 2013 et 2018, et dont la prochaine est prévue pour 2024. L’intérêt de ces études, est de voir comment se situent les enseignants français et les approches pédagogiques françaises par rapport aux autres pays de l’OCDE, notamment pour ce qui relève des conditions d’attractivité du métier et de la qualité de la formation des enseignants.

Sur l’attractivité du métier

Récemment, la pénurie des profs de maths dans le secondaire a été longuement commentée : manque de candidats au concours, concurrence des autres débouchés, etc. Qu’en est-il au niveau de l’OCDE ? Il apparaît que le métier d’enseignant est peu valorisé en France, surtout en comparaison de la Finlande, du Royaume-Uni ou du Portugal. La profession pâtit de salaires à 16% inférieurs par rapport à la moyenne de ceux des profs de l’OCDE mais également par rapport à la moyenne des salariés du tertiaire. Donc, un salaire moindre pour un travail pas aussi attrayant que l’on croit.Si le métier de prof, dans l’imaginaire collectif consiste essentiellement à préparer ses cours, enseigner et corriger des copies, l’enquête montre que dans tous les pays, la profession d’enseignant est de plus en plus complexe : outre l’enseignement, les professeurs sont attendus dans l’animation de classe, le développement personnel des enfants, en psychologie, citoyenneté, gestion administrative, conseils, interaction avec les parents, la liste s’allonge un peu plus à chaque nouvelle réforme en France.

De l’aveu des enseignants, en additionnant les conditions de revenus et la complexité de la tâche qui repose sur leurs épaules, être prof est décourageant, et pour ceux qui ont potentiellement d’autres perspectives professionnelles en maths et en sciences, le calcul est vite fait.

Sur la formation des enseignants

Pour répondre à de telles attentes, les enseignants en France sont peu armés. La formation initiale des professeurs est souvent réduite au seul apprentissage d’une discipline, les enseignants se disent trop peu formés à la gestion de classe, le co-enseignement est trop peu développé. Quant à la formation continue, la France enregistre 20 points d’écarts avec les autres pays pour les formations à fort impact comme le coaching, les cours, les séminaires.

Pour ce qui relève de l’enseignement des mathématiques au niveau élémentaire, cela a un impact considérable : les professeurs des écoles qui proviennent de filières sciences humaines ou littéraires sont majoritaires, ils ne sont pas nécessairement à l’aise avec les mathématiques, et cela s’en ressent au moment de la transmission. Lorsque les parents ne peuvent se substituer à cette carence, que ce soit eux-mêmes ou par du soutien scolaire, on comprend mieux la baisse du niveau en élémentaire depuis les années 90 mais aussi l’écart qui s’est creusé entre les enfants de milieux aisés et ceux de milieux modestes.

De manière générale, on peut s’interroger sur la manière dont les enseignants français sont formés pour aborder leur métier avec des élèves en difficulté. La France s’illustre aussi dans les évaluations PISA pour l’écart de niveau qui existe entre les milieux sociaux malgré les politiques d’éducation prioritaire. Sur le plan de la formation, l’enquête TALIS parle d’un manque de compétences pour l’enseignement aux élèves aux besoins particuliers. En Finlande, les enseignants les plus expérimentés s’occupent des élèves les plus en difficulté. En France, ce sont les primo-enseignants qui commencent par les établissements où les élèves ont le plus de besoins…

Que faire pour enrayer cette baisse de niveau ?

Il apparaît clairement que le temps de formation continue des enseignants doit être augmenté drastiquement, ce qui nécessite des adaptations dans leur emploi du temps annuel. Les ressources pédagogiques d’organismes comme le Réseau Canopé sont de grande qualité et mis à la disposition de tous, peut-être que leur recours devrait être davantage préconisé dans le cadre de plans de formation.

Il nous semble qu’il faut également promouvoir l’action d’associations éducatives qui accompagnent avec succès les enseignants dans leur pratique pédagogique, mais aussi celles qui introduisent des pédagogies alternatives qui ont fait leur preuve pour les besoins particuliers des élèves. Ces méthodes font monter les enseignants en compétences dans ces domaines compliqués, mais aussi les soulagent de la complexité de leur tâche en leur apportant des compétences complémentaires pour qu’ils puissent se concentrer sur leur rôle de pédagogue.

Il faudra que le travail de convergence entre les pouvoirs publics et les associations éducatives s’accélère si l’on veut enrayer la spirale de la baisse du niveau scolaire et le découragement des enseignants. Outre les conséquences sur la qualité d’enseignement reçue par les enfants, d’autres effets de bord risquent de se développer : manque d’intérêt et de compréhension des sciences mais aussi manque de vocations scientifiques à l’heure où les métiers d’avenir nécessitent ce type de compétences.

Elisabeth Elkrief, directrice générale de la Fondation AlphaOmega